QUELQUES NOTES SUR LA PROCEDURE EN DIFFAMATION (L29/07/1881)
Il y a quelques semaines, et à l’occasion d’un mouvement de grève, un syndicat distribue un tract à l’intérieur et à l’extérieur d’un établissement public. On peut lire dans ce tract que la politique de réduction budgétaire mise en œuvre par le directeur n’est pas sans lien avec des « évènements indésirables graves » survenus dans ledit établissement, y compris des décès.
Pour permettre à la personne nommément visée dans le tract de prendre les initiatives procédurales qui lui semblent opportunes, nous avons rédigé une note stratégique sur les infractions à la loi du 29 juillet 1881, et notamment sur les faits de diffamation.
Nous publions quelques extraits de cette note, en espérant qu’elle sera utile à celles et ceux qui auraient besoin de mener la même recherche. Les arrêts visés sont faciles à trouver sur Légifrance en associant dans la recherche la date de la décision et le mot « diffamation ».
Sur la caractérisation des imputations diffamatoires
Le syndicat décrit dans son tract un directeur incapable, fermé aux revendications sociales et se soustrayant à tout contact avec les agents. Des situations précises sont décrites qui renvoient manifestement à des évènements tirés de la « réalité », et qui sont donc susceptibles d’être soumis à débat contradictoire.
Ces imputations sont susceptibles de porter atteinte à l’honneur et la considération au sens de l’article 29 de la loi du 29 juillet 1881 puisqu’il est communément admis qu’un fonctionnaire public à la tête d’un établissement doit être au minimum capable de gérer le dialogue social, de rencontrer les agents sous son autorité et d’assurer leur protection fonctionnelle.
Mais attention, la jurisprudence considère parfois que des propos peuvent être outrageants et déplacés sans comporter l’imputation de faits précis pouvant être qualifiés « d’imputation diffamatoire » et ce dans le but évident de protéger la liberté d’expression syndicale. Ainsi une comparaison de la gestion d’un cadre avec des « méthodes nazies » n’est pas nécessairement diffamatoire (Cassation criminelle 27 février 2018).
De la même façon, la base factuelle des imputations doit être suffisamment consistante pour que ces dernières puissent être considérées comme diffamatoires (Cassation Criminelle 11 mai 2010).
La jurisprudence ne retient pas toujours l’existence d’une imputation diffamatoire lorsque « l’incident » dénoncé n’est pas relié directement et explicitement aux faits reprochés à l’individu visé. Ainsi pour la survenue d’un suicide dans une unité dont le commandant était « despotique » et que les agents « ne voulaient pas voir se reproduire ». Pour être retenues comme telles, les imputations diffamatoires doivent comporter des accusations « susceptibles d’un débat contradictoire » (Cassation Criminelle 25 novembre 2014)
Une autre jurisprudence retient l’existence d’une infraction, ainsi à propos de critiques syndicales virulentes à l’égard du comportement d’un supérieur hiérarchique vis-à-vis de ses subordonnées et auquel il est reproché des pratiques « déshonorantes » (Cassation Criminelle 11 mai 2010).
Sur l’auteur et la victime de l’infraction
Le tract a été imprimé à entête du syndicat, et le secrétaire général de cette organisation syndicale est présent sur le lieu de distribution. Les photographies insérées au constat d’huissier montrent la présence sur le lieu de distribution de la « panoplie habituelle » de signalétique du syndicat : on peut considérer que le représentant est l’auteur du tract litigieux et qu’en tout cas il en a assuré la diffusion. Il devra être seul visé par une éventuelle procédure, en lieu et place du syndicat lui-même, considéré comme « irresponsable » par la jurisprudence (Cassation Criminelle 10 septembre 2013).
Le tract évoque le directeur dans son rôle de fonctionnaire public. L’établissement ne peut être considéré comme victime par extension ou par substitution : la jurisprudence est en ce sens. C’est bien le et lui seul qui peut légitimement engager une procédure.
Sur les arguments « à attendre » en défense
Il résulte d’une jurisprudence constance que les déclarations faites dans le cadre d’une activité syndicale doivent être appréciées dans le contexte précis de leur diffusion et les propos dénoncés doivent être jugés dans leur ensemble au regard de la manifestation des luttes syndicales qui opposent les parties; et que dès lors que les propos traduisent l’expression d’un libre droit de critique sans excéder les limites de la polémique, toujours particulièrement vive en matière syndicale, il n’y a pas caractérisation du délit de diffamation (Cassation Criminelle, 15 mai 2016).
Traditionnellement l’auteur d’imputations diffamatoires peut se prévaloir d’un principe de bonne foi. Le fait justificatif de bonne foi se caractérise par la légitimité du but poursuivi, l’absence d’animosité personnelle, la prudence et la mesure dans l’expression ainsi que par le sérieux de l’enquête ou des informations fournies. Les juges du fond adaptent leur appréciation de la bonne foi au regard du contexte dans lequel les écrits litigieux ont été rédigés et prennent en compte la qualité de la personne qui les diffuse.
Dans le cadre d’un conflit social, il est permis, comme à toute personne qui s’engage dans un débat public, de recourir à une certaine exagération et d’être véhément et immodéré dans ses propos. Mais si les conditions visées ne sont pas remplies, la bonne foi ne peut être retenue (Cassation Criminelle 10 avril 2018)
La situation est autre lorsque sont reproduites des accusations inconsidérées et sans preuve, traduisant une animosité personnelle (CA Bordeaux 1erfévrier 2008).
Enfin, le prévenu peut être admis à établir la vérité des accusations qu’il formule. Cette preuve rapportée, aucune poursuite n’est possible. Cette offre de preuve est enfermée dans une procédure particulièrement stricte. La juridiction a toute latitude pour écarter les offres de preuve qui lui sont fournies par le prévenu, après les avoir resituées dans le contexte des écrits litigieux (Cassation Civile 1er février 2006)
Sur les options procédurales envisageables
La jurisprudence prévoit que la victime de faits de diffamation peut solliciter du juge du référé la suppression ou l’interruption de la diffusion d’un tract litigieux, sur le fondement de l’article 809 du code de procédure civile.En effet, les prescriptions de l’article 53 de la loi du 29 juillet 1881 ne s’appliquent qu’à la poursuite des délits prévus par la loi sur la liberté de la presse ou à l’action en réparation des dommages causés par ces infractions. Elles ne font pas obstacle à ce que le juge des référés prenne, conformément à l’article 809 précité les mesures qui s’imposent pour prévenir la réalisation d’un dommage imminent ou pour faire cesser un trouble manifestement illicite susceptible notamment d’être caractérisé par une atteinte intolérable à la personnalité d’une partie (CA Paris 24 octobre 2001)
Compte tenu de sa qualité de fonctionnaire public, la seule façon de poursuivre les faits de diffamation évoqués le directeur mis en cause à mettre en œuvre l’action publique, soit par voie de plainte entre les mains de M. le Procureur de la République, soit par voie de citation directe devant le tribunal correctionnel.
Dans le premier cas, et compte tenu de la prescription abrégée en matière de presse (3 mois à compter de la première diffusion du tract), il faudra que le Parquet déclenche la poursuite rapidement et par des réquisitions exemptes de toute critique procédurale pour que le tribunal soit effectivement saisi. Il convient ensuite de « surveiller » la réactivité du Parquet, et au besoin de suppléer sa carence en délivrant une citation directe.
Dans le second cas, c’est une citation directe par voie d’huissier, avec dénonciation au Parquet, qui saisit directement le tribunal. Lors d’une première audience, le tribunal fixe le montant de la consignation que devra verser le requérant afin de poursuite de la procédure et renvoie par jugement à une audience ultérieure de plaidoirie. Les renvois doivent toujours se faire à moins de 3 mois pour ne pas encourir à nouveau la prescription.
La citation devant être délivrée au moins 20 jours avant l’audience, le prévenu peut notifier ses offres de preuve dès avant la première audience.