HARCELEMENT MORAL A L’HOPITAL : LA QUADRATURE DU CARRE

Le harcèlement moral peut détruire un individu. Les directeurs d’hôpitaux, comme tous les employeurs d’ailleurs, doivent veiller à empêcher et éradiquer tout comportement de ce type. Entreprise difficile : la notion de harcèlement moral a été mise à toutes les sauces, au risque d’en gâter un grand nombre.

Mais des faits de harcèlement moral avérés sont insupportables. Ils sont qualifiables pénalement et ils doivent être poursuivis. Cela étant toute dégradation de l’état de santé d’un agent, en lien avec son travail, n’implique pas nécessairement l’existence d’une situation de harcèlement moral. La nuance est parfois subtile. Or l’établissement de soins se doit d’analyser efficacement la situation : si les faits de harcèlement sont constitués, il doit protéger l’agent victime sauf à engager sa propre responsabilité. Si les accusations de harcèlement révèlent une situation de mal être professionnel sans infraction avérée, l’établissement doit prendre les mesures pratiques permettant à chacun de travailler en toute sérénité.

Harcèlement professionnel ou mal être collectif, le directeur d’hôpital doit préserver les agents. Même dans le doute il doit agir. Ce n’est pas la quadrature du cercle qu’il doit calculer (il paraît d’ailleurs que c’est impossible), sur ce point, la réalité de son action doit être aussi facile à trouver que la quadrature du carré. C’est en tout cas ce que lui demande la jurisprudence.

Notre propos part d’un cas d’espèce.

Un agent hospitalier expose que de 2002 à 2013, il a été exposé aux agissements de son chef de service, qu’il qualifie d’actes de harcèlement moral. Après qu’il ait saisi successivement le CHSCT ainsi que les différents directeurs du centre hospitalier qui se sont succédés « afin que des mesures soient prises pour faire cesser ces actes », il est reconnu victime d’une maladie professionnelle en lien avec le travail. Selon l’agent, il existe un rapport de cause à effet entre les agissements de son chef de service et le syndrome dépressif qui l’a forcé à interrompre prématurément son activité professionnelle.

Il saisit le Tribunal Administratif d’une demande de dommages-intérêts à hauteur de 200.000 €.

Plusieurs caractéristiques du dossier : la période dite de harcèlement (plus de 10 ans), un nombre très important de courriers de plainte, les interventions nombreuses des différents directeurs, l’implication de la médecine du travail et du CHSCT, les accusations de harcèlement « croisées » entre les parties, une véritable dégradation de l’état psychologique de l’agent.

Dans notre espèce, le dossier est en cours : l’établissement dispose de nombreux éléments pour établir qu’il n’a pas failli dans sa mission de protection des agents, qu’il ne s’agit pas de harcèlement mais de difficultés rationnelle entretenues par les uns et les autres.

Nous commenterons la décision lorsqu’elle sera rendue (finger crossed). Voici en attendant quelques éléments de réflexion. Nous espérons qu’ils vous seront utiles.

L’article 6 quinquies de la loi du 23 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires dite Loi Le Pors dispose:

« Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel ».

L’agent public qui soutient avoir été victime d’agissements constitutifs de harcèlement moral a l’obligation de fournir au juge les éléments de fait susceptibles de faire présumer l’existence de ce harcèlement. L’administration sera dans l’obligation de produire une argumentation de nature à prouver que les agissements en question ne consistent pas un acte de harcèlement (CAA Marseille, 28 mars 2017 N° 16MA03535 ; CAA Nantes, 9 décembre 2011, 10NT01209, inédit).

Si les fait de harcèlement sont présentés comme de nombreuses remarques vexatoires, dont une aide-soignante s’estime victime de la part de ses supérieurs hiérarchiques et de ses collègues, mais qu’ils ne sont assortis d’aucune précision, ils ne seront pas suffisants pour présumer de l’existence d’un harcèlement moral (CAA Douai, 28 janvier 2016, N°13DA00641).

Le rôle et l’avis du CHSCT sont importants dans le processus de recherche de faits de harcèlement moral. Après enquête, un CHSCT, invité à se prononcer sur l’existence d’un harcèlement moral, peut ne pas retenir cette qualification mais conclure à l’existence d’une mésentente personnelle et conflictuelle justifiant un changement de poste (CAA Marseille, 3 juillet 2008, N°06MA03377).

Les qualités managériales du chef de service peuvent être remises en cause, leur caractère défectueux ou insuffisant ne suffit pas à établir la réalité d’un harcèlement moral (Tribunal administratif de Melun du 11 mai 2015, jugement N°140011).

La succession sur une longue durée d’évènements administratifs, révélateurs de difficultés d’organisation au sein une clinique ainsi que d’une détérioration des relations de travail en son sein, ne suffit pas à établir l’existence d’un comportement global et délibéré de nature vexatoire à l’encontre du requérant (CAA Douai, 2ème chambre, 29 mai 2012, 11DA00926).