Nous travaillons habituellement aves des associations d’enseignants, des écoles d’ingénieurs, des écoles de commerce, les facultés de médecine notamment sur le sujet du bizutage. Nous avons découvert que le plus souvent les étudiants – et même les enseignants – ignorent tout des textes répressifs en vigueur.
Ce petit vade-mecum n’a d’autre prétention que d’informer et de prévenir. Notre société civile n’accepte plus qu’à l’occasion de cérémonies de bizutage ou de protocoles d’intégration il soit demandé à des étudiant(e)s de se plier à des exercices plus ou moins humiliants et d’ailleurs plus ou moins drôles.
Au surplus, ce qui semble avoir été accepté individuellement ou collectivement par les intéressé(e)s au moment d’une soirée d’intégration est susceptible d’être remis en cause a posteriori par un individu et/ou sa famille.
La sensibilité du corps social est telle que, sur ce sujet comme sur d’autres, toute plainte est susceptible de déboucher sur une enquête préliminaire, voir sur l’ouverture d’une information judiciaire.
Il faut donc connaître les textes applicables et l’interprétation qu’en fait la jurisprudence de façon à ne pas – volontairement ou involontairement, directement ou indirectement – accomplir des actes ou laisser accomplir des actes blessants et humiliants, et en tout état de cause susceptibles d’être qualifiés pénalement.
Le principe est bien entendu celui de la liberté de choix : choix d’être indélicat(e) ou de ne pas l’être, choix d’être brutal(e), choix d’être grossier(e) invasif (ve) irrespectueux (se) harceleur (se) … ou de ne pas l’être. Notre éducation, les valeurs que nous célébrons à titre individuel et notre part d’humanité nous guident et nous interdisent – a priori – tout comportement susceptible de blesser ou d’humilier autrui. Au-delà, le code pénal s’applique.
- FAITS DE BIZUTAGE
Il existe un texte pénal spécifique qui qualifie le bizutage mais certains comportements estudiantins pourraient justifier d’autres qualifications plus graves.
La description des infractions pénales ne doit pas occulter la possibilité qu’un établissement d’enseignement tire de son règlement intérieur de sanctionner ces mêmes comportements sur le plan disciplinaire, indépendamment de toute autre poursuite.
Article 225-16-1 Modifié par la loi n°2017-86 du 27 janvier 2017
Hors les cas de violences, de menaces ou d’atteintes sexuelles, le fait pour une personne d’amener autrui, contre son gré ou non, à subir ou à commettre des actes humiliants ou dégradants ou à consommer de l’alcool de manière excessive, lors de manifestations ou de réunions liées aux milieux scolaire, sportif et socio-éducatif est puni de six mois d’emprisonnement et de 7.500 euros d’amende.
Il est à noter que le législateur n’exige pas la preuve d’une coercition exercée à l’égard de la victime, la contrainte n’est donc pas un élément constitutif de l’infraction (« contre son gré ou non »).
La circonstance de « consommation d’alcool excessive » vient d’être ajoutée au texte par le législateur.
Article 225-16-2 Ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000
L’infraction définie à l’article 225-16-1 est punie d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende lorsqu’elle est commise sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de son auteur.
En l’espèce, c’est le plus souvent l’âge qui peut être considéré comme une vulnérabilité particulière.
Article 225-16-3 Modifié par la loi n°2009-526 du 12 mai 2009
Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 225-16-1 et 225-16-2 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par les 4° et 9° de l’article 131-39.
Article 121-2 Modifié par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004
Les personnes morales, à l’exclusion de l’Etat, sont responsables pénalement, selon les distinctions des articles 121-4 à 121-7, des infractions commises, pour leur compte, par leurs organes ou représentants. ..
La responsabilité pénale des personnes morales n’exclut pas celle des personnes physiques auteurs ou complices des mêmes faits, sous réserve des dispositions du quatrième alinéa de l’article 121-3.
Article 131-38 Modifié par la loi n°2004-204 du 9 mars 2004
Le taux maximum de l’amende applicable aux personnes morales est égal au quintuple de celui prévu pour les personnes physiques par la loi qui réprime l’infraction. Lorsqu’il s’agit d’un crime pour lequel aucune peine d’amende n’est prévue à l’encontre des personnes physiques, l’amende encourue par les personnes morales est de 1 000 000 euros.
Article 131-39 Modifié par la loi n°2014-790 du 10 juillet 2014
Lorsque la loi le prévoit à l’encontre d’une personne morale, un crime ou un délit peut être sanctionné d’une ou de plusieurs des peines suivantes ….
4° La fermeture définitive ou pour une durée de cinq ans au plus des établissements ou de l’un ou de plusieurs des établissements de l’entreprise ayant servi à commettre les faits incriminés ;
9° L’affichage de la décision prononcée ou la diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique
Au titre de l’infraction de bizutage, l’association d’étudiants et éventuellement l’école peuvent faire l’objet de poursuites pour avoir eu connaissance des agissements délictueux ou pour avoir organisé ou laissé organiser les évènements au cours desquels les faits de bizutage ont été commis.
- FAITS DE HARCELEMENT MORAL
Au-delà du bizutage – dont on peut penser qu’il ne survient qu’en début d’année ou en tout cas lors d’une phase « d’initiation » – un comportement agressif ou outrageant qui viserait spécifiquement un étudiant, qu’il soit le fait d’un individu ou d’un groupe d’individus peut être qualifié de harcèlement moral.
Article 222-33-2-2 Créé par la loi n°2014-873 du 4 août 2014
Le fait de harceler une personne par des propos ou comportements répétés ayant pour objet ou pour effet une dégradation de ses conditions de vie se traduisant par une altération de sa santé physique ou mentale est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 € d’amende lorsque ces faits ont causé une incapacité totale de travail inférieure ou égale à huit jours ou n’ont entraîné aucune incapacité de travail.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30.000.€ d’amende :
1° Lorsqu’ils ont causé une incapacité totale de travail supérieure à huit jours ;
2° Lorsqu’ils ont été commis sur un mineur de quinze ans ;
3° Lorsqu’ils ont été commis sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Lorsqu’ils ont été commis par l’utilisation d’un service de communication au public en ligne.
Les faits mentionnés au premier alinéa sont punis de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 € d’amende lorsqu’ils sont commis dans deux des circonstances mentionnées aux 1° à 4°.
Pour que l’infraction soit constituée, il faut que les agissements visés soient répétés dans un trait de temps suffisamment long et que ce caractère répétitif porte atteinte à la santé physique ou mentale de la victime.
L’utilisation des réseaux sociaux comme relais de diffusion peut constituer en l’espèce une circonstance aggravante.
- FAITS DE HARCELEMENT SEXUEL
L’infraction de harcèlement sexuel n’implique pas – contrairement à une idée assez généralement répandue – un contact physique avec la victime, ni même une exposition plus ou moins complète de parties du corps de l’auteur des faits ou de sa victime. Des infractions spécifiques existent pour ces comportements : agression sexuelle / exhibition.
Article 222-33 Créé par la loi n°2012-954 du 6 août 2012
Le harcèlement sexuel est le fait d’imposer à une personne, de façon répétée, des propos ou comportements à connotation sexuelle qui soit portent atteinte à sa dignité en raison de leur caractère dégradant ou humiliant, soit créent à son encontre une situation intimidante, hostile ou offensante.
Est assimilé au harcèlement sexuel le fait, même non répété, d’user de toute forme de pression grave dans le but réel ou apparent d’obtenir un acte de nature sexuelle, que celui-ci soit recherché au profit de l’auteur des faits ou au profit d’un tiers.
Les faits mentionnés aux 1 et 2 sont punis de deux ans d’emprisonnement et de 30 000.€ d’amende. Ces peines sont portées à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende lorsque les faits sont commis :
1° Par une personne qui abuse de l’autorité que lui confèrent ses fonctions ;
2° Sur un mineur de quinze ans ;
3° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité, due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique ou à un état de grossesse, est apparente ou connue de leur auteur ;
4° Sur une personne dont la particulière vulnérabilité ou dépendance résultant de la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de leur auteur
5° Par plusieurs personnes agissant en qualité d’auteur ou de complice.
Article 222-33-1 Modifié par la loi n°2010-121 du 8 février 2010
Les personnes morales déclarées responsables pénalement, dans les conditions prévues par l’article 121-2, des infractions définies aux articles 222-22 à 222-31 encourent, outre l’amende suivant les modalités prévues par l’article 131-38, les peines prévues par l’article 131-39.
L’interdiction mentionnée au 2° de l’article 131-39 porte sur l’activité dans l’exercice ou à l’occasion de l’exercice de laquelle l’infraction a été commise.
Deux formes d’infractions sont décrites par ce texte : l’une implique un comportement répété, l’autre ne requiert pas cette condition :
– propos et comportement à connotation sexuelle : c’est moins la gravité des faits qui va permettre de relever l’infraction que leur répétition. Une réflexion isolée dans un contexte particulier n’est pas sanctionnable, la même – répétée, prononcée en public, malgré l’opposition de la personne visée – constitue une infraction si cette dernière subit une atteinte dans sa dignité (propos humiliants / association à des images pornographiques) ou se trouve placée dans un contexte humiliant ou offensant (prise à partie / humiliation en public)
– tout comportement comportant une pression, une demande agressive ou conditionnelle afin d’obtenir une faveur sexuelle constitue l’infraction même en l’absence du caractère de répétition.
Le fait que les auteurs agissent en groupe est une circonstance aggravante.
- FAITS DE MISE EN DANGER DE LA VIE D’AUTRUI
Une responsabilité pénale peut être engagée non seulement à cause d’une action mais encore soit à la suite d’un comportement d’abstention, soit par un comportement dangereux.
Article 223-6 Modifié par ordonnance n°2000-916 du 19 septembre 2000
Quiconque pouvant empêcher par son action immédiate, sans risque pour lui ou pour les tiers, soit un crime, soit un délit contre l’intégrité corporelle de la personne s’abstient volontairement de le faire est puni de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende.
Sera puni des mêmes peines quiconque s’abstient volontairement de porter à une personne en péril l’assistance que, sans risque pour lui ou pour les tiers, il pouvait lui prêter soit par son action personnelle, soit en provoquant un secours.
C’est l’infraction traditionnellement décrite comme la « non assistance à personne en péril ». Une personne en état d’ébriété ou manifestement sous l’empire d’une substance qui ne lui permet pas d’être autonome ne peut être abandonnée sans surveillance par exemple.
Article 223-1 Modifié par la loi n°2011-525 du 17 mai 2011
Le fait d’exposer directement autrui à un risque immédiat de mort ou de blessures de nature à entraîner une mutilation ou une infirmité permanente par la violation manifestement délibérée d’une obligation particulière de prudence ou de sécurité imposée par la loi ou le règlement est puni d’un an d’emprisonnement et de 15 000 euros d’amende.
Rouler à gauche à pleine vitesse, organiser ou participer à tout jeu dangereux même avec l’acceptation du risque couru par les participants : autant de comportements qui correspondent à la description de cette infraction.
EN CONCLUSION
L’imagination débridée des étudiants – particulièrement lorsque « l’effet groupe » les amène à afficher le QI du plus stupide divisé par le nombre des participants – peut être à l’origine de situations apparemment bénignes mais potentiellement dangereuses. Au-delà de l’intégrité physique et mentale des uns et des autres ce type de comportement peut être pénalement répréhensible.
Cette courte présentation vise à mettre chacun devant sa responsabilité individuelle. Pour finir sur une note d’existentialisme, admettons qu’on ne naisse pas harceleur ou bourreau. On peut le devenir par ignorance de soi-même, des autres.. et du code pénal. Pour la troisième occurence .. maintenant vous savez.